Le grand rendez-vous littéraire du Grand Moncton prend son envol et je vous invite à découvrir deux œuvres lumineuses d’une grande sensibilité signées par des auteurs invités au Festival Frye.

Ce que je sais de toi, Éric Chacour

Il y a de ces livres qui peuvent nous habiter longtemps. C’est le cas de ce roman envoûtant tant par le style d’une grande fluidité que par le récit bouleversant, sensible et magnifiquement ficelé. C’est l’histoire d’un médecin égyptien Tarek, issu d’une famille aisée, dont nous suivons le parcours de l’adolescence à l’âge adulte. Son destin est tracé d’avance pour lui. Entre le cabinet de son père et un dispensaire construit dans un quartier défavorisé, Tarek a peu de place pour se poser des questions au milieu de sa famille. Il épouse Mira, un amour de jeunesse.

Nous sommes au Caire, dans un pays coincé entre la tradition et la modernité, du règne de Nasser jusqu’en 2000. Or un événement survient qui ébranle la vie du médecin. Un jeune homme Ali vient le trouver au dispensaire parce qu’il a besoin d’aide pour sa mère qui souffre d’un mal étrange. Une amitié se tisse entre les trois, mais le décès de la mère d’Ali change la donne. Peu de temps avant sa mort, elle lui demande de s’occuper de son fils. Tarek embauche le jeune homme pour l’aider à son cabinet; une amitié qui se transformera en attirance. Ali qui évolue dans un milieu en marge, très différent de celui du médecin, le confrontera dans ses convictions. Les deux hommes doivent vivre leur passion interdite en secret, à l’abri du regard de sa femme et de sa famille levantine (chrétienne). Dans cette Égypte du début des années 1980 qui connaît un regain de conformisme religieux, une liaison entre deux hommes est inacceptable. La mère veille à ce que l’ordre établi soit respecté. La présence d’Ali aux côtés de Tarek dérange. Ce dernier choisit alors de s’exiler en solitaire à Montréal laissant derrière lui son épouse, sa mère et sa soeur. Cette décision déchirera la famille avec qui il a rompu les liens.

Une personne lointaine dont on ne connaît pas l’identité s’adresse à Tarek et reconstruit son histoire et c’est ce récit écrit à la deuxième personne du singulier que nous lisons, de la voix du narrateur inconnu. Vers la moitié du roman, on découvre le narrateur, le récit prend ainsi une nouvelle direction. Le roman est divisée en trois parties, Toi, Moi et Nous. Plus on tourne les pages, plus on est épris par cette histoire qui devient de plus en plus intime, à la fois triste et lumineuse. À travers ce récit plein d’empathie et de non-dits, l’auteur ne porte pas de jugement, laissant le soin au lecteur d’établir ses propres opinions.

Avec une écriture puissante, l’auteur aborde les thèmes de l’amour, de la filiation, de l’exil, de l’engagement, du deuil et de l’homosexualité. Ses réflexions sur la vie révèlent une compréhension profonde de la nature humaine. «Les hommes sont des nomades à l’arrêt. Ils peuvent parfaitement traverser leur existence tout en se cachant cette réalité. Ils se persuadent alors que le temps ne compte pas, que l’espace se fractionne en poussières et que ces poussières s’acquièrent par des titres de propriété. Orphelins de l’immensité, ils meurent sans avoir vécu.»

Né de parents égyptiens, Éric Chacour a partagé sa vie entre la France et le Québec. Il travaille dans le secteur financier. Ce que je sais de toi est son premier roman qui a été très remarqué depuis sa sortie. Il a remporté, entre autres, le Prix Femina des lycéens. (Alto, 2023) ♥♥♥♥½

 

Je voudrais te dire, Jean-François Sénéchal, illustrations Chiaki Okada

Dans cet album jeunesse, un petit renard parle à sa grand-mère. «Ce matin, je t’écris une lettre. Au-dessus de la clairière, le soleil est timide.

La forêt immobile. Les oiseaux se taisent. Je voudrais te dire…», ainsi s’ouvre ce court récit illustré d’une grande tendresse. Très émouvant, on ressent tout l’amour du jeune narrateur pour sa grand-mère qui en est à son dernier souffle et le lien profond qui les unit. Si vous avez des petits-enfants, vous serez particulièrement émus.

En pleine nature, le renardeau réfléchit à ce qu’il pourrait bien écrire à sa grand-maman, mais il ne trouve pas les bons mots. Poétique, d’une grande simplicité, la plume de l’auteur est éblouissante. Les illustrations sont magnifiques évoquant à certains égards la peinture impressionniste. Nous suivons le petit renard qui raconte ses souvenirs et les merveilles qu’ils ont créées avec sa grand-mère. Les souvenirs se bousculent dans sa tête. En apprenant son décès, n’y croyant pas, il la cherche partout. Peu à peu, grâce à l’écriture, le petit renard arrivera à apaiser sa douleur.

En peu de mots, avec sobriété, l’auteur arrive à construire un récit émouvant sur un sujet pas facile à aborder, celui de la perte d’un être cher. C’est aussi un album à contempler pour la douceur de ses illustrations. Récipiendaire de nombreux prix, Jean-François Sénéchal écrit pour les jeunes et les moins jeunes. (Comme des géants, 2023). ♥♥♥♥½

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